LES INTERFACES AUTOMOBILES

Les écrans tactiles font leur première apparition dans l’industrie automobile en 1986 avec la Buick Riviera, un véhicule haut de gamme doté d’un écran [Fig. 1] permettant de contrôler la climatisation. Depuis, les écrans se sont imposés en suivant l’évolution des fonctionnalités des smartphones. Tesla, avec sa Model S en 2012, marque un tournant en supprimant entièrement les commandes mécaniques pour adopter une interface numérique, redéfinissant les attentes en matière d’interface automobile.

[Fig. 1] Tableau de bord de la Buick Riviera 1986 avec l’écran tactile « Graphic Control Center ».

Source : article Reddit « TIL that the 1986 Buick Riviera was the first car to feature a touch screen… ».

Plus généralement, cela fait une cinquantaine d’années que l’électronique s’est immiscée dans l’industrie automobile, la lourde mécanique n’est plus directement en interaction avec le conducteur, mais passe par des commandes électriques puis électroniques. Les écrans sont l’évolution logique de cette mutation.

Mais ces transformations posent des défis majeurs, notamment en termes de lisibilité, d’ergonomie, de fonctionnalité, d’identité graphique et de sécurité, tout en permettant l’intégration de nouvelles technologies pour réduire les distractions. La notion de simplexité entre alors en jeu, afin de maintenir la concentration du conducteur et d’améliorer son expérience de conduite.

Passionnée par l’univers automobile et étudiante en design graphique, il m’a semblé naturel de m’intéresser à l’évolution des interfaces automobiles de plus en plus numériques et omniprésentes, un aspect souvent sous-estimé, mais crucial à l’expérience de conduite, puisque l’interface joue un rôle essentiel dans l’expérience émotionnelle, la compréhension des informations et la fluidité de l’interaction par le conducteur.

Mon article abordera cette problématique en analysant la transformation des interfaces automobiles, les défis actuels liés aux écrans tactiles, puis les perspectives futures offertes par les innovations de l’UI/UX en automobile.

I. LA TRANSFORMATION DE l’UI/UX DANS LE DESIGN AUTOMOBILE

Depuis les années 1980, les tableaux de bord automobiles ont connu une révolution majeure, marquée par l’intégration progressive des écrans de plus en plus sophistiqués, suite à la suppression progressive et parfois même totale des commandes mécaniques [Fig. 2 à Fig. 6]. Ces interfaces automobiles se sont rapidement généralisées, à travers de nouvelles fonctionnalités telles que la gestion de la radio, de la navigation, le réglage des sièges, et même des systèmes d’aide à la conduite comme la surveillance de la vigilance et de l’endormissement.

C’est avec le lancement de la Tesla Model S en 2012 que l’interface entièrement numérique [Fig. 7] fut introduite auprès des usagers, où toutes les fonctions [Fig. 8] sont accessibles via un écran tactile central. Cette approche a redéfini les attentes des utilisateurs, misant sur une nouvelle expérience interactive et fluide. Cependant, ce tournant dans l’histoire s’accompagne de nouveaux défis, notamment en termes de sécurité et d’ergonomie : questionnant la navigation de l’écran tactile, qui peut se montrer complexe avec les nombreux menus et qui nécessite une attention précise, augmentant les risques de distraction pour le conducteur.

Les tableaux de bord traditionnels utilisent des boutons mécaniques fixes [Fig. 9], organisés en lignes ou regroupés autour du volant selon leur fonction. Ils offrent une ergonomie intuitive, avec un retour tactile et une lisibilité immédiate. Leurs formes varient et leur style visuel adopte un minimalisme fonctionnel aux couleurs monochromes, indiquant clairement leur usage. À l’inverse, les écrans numériques, souvent placés à hauteur des yeux ou centralisés sur le tableau de bord, permettent une navigation tactile via des boutons virtuels [Fig. 10 & Fig. 11], souvent minimalistes et géométriques. Cette numérisation des commandes nécessite un apprentissage et une hiérarchisation visuelle plus complexe, articulée autour de sous-menus, d’un usage stratégique des couleurs, d’animations fluides et de pictogrammes intuitifs.

[Fig. 9] Tableau de bord traditionnel de la Renault Clio 2 avec commandes mécaniques, offrant une ergonomie simple et intuitive.

Source : Fiches-Auto.

Cet essor des interfaces numériques soulève des défis et crée le besoin de réduire l’interaction visuelle et cognitive qu’elles engendrent. De nouvelles innovations sont alors mises en place, comme l’utilisation du pare‑brise en tant qu’écran avec le HUD, le développement du design sonore et la technologie haptique, qui réduisent la nécessité de détourner les yeux de la route. La technologie haptique désigne l’utilisation de retours tactiles ou vibratoires pour transmettre des informations, en créant une expérience plus immersive et naturelle. Des retours tactiles sur les boutons virtuels des écrans permettent au conducteur de ressentir physiquement qu’une commande a été activée. Les éléments d’interface ne sont plus destinés uniquement au conducteur, mais aussi aux passagers, afin d’alléger la charge mentale du conducteur tout en améliorant l’accessibilité des fonctions. On retrouve ce fonctionnement dans la Mercedes-Benz EQS, qui introduit le MBUX Hyperscreen [Fig. 12], un tableau de bord tactile qui s’étend du conducteur au passager avant, intégrant douze zones haptiques qui enrichissent l’interaction tactile.

[Fig. 12] L’écran MBUX Hyperscreen de la Mercedes-Benz EQS est une interface tactile réactive et intelligente, qui s’adapte à l’utilisateur avec des suggestions personnalisées. Accès simplifié aux fonctions essentielles, sans sous-menus.

Source : « The EQS: Redefining the luxury segment for electric mobility » publié sur Mercedes-Benz Canada

La transformation de l’UI/UX dans le design automobile représente un équilibre entre innovation technologique, ergonomie et sécurité, avec un objectif central : permettre une interaction intuitive et efficace tout en garantissant la concentration du conducteur. Cependant, ces avancées soulèvent des défis essentiels.

II. LES DÉFIS DE SÉCURITÉ ET LES ENJEUX LIÉS AUX ÉCRANS TACTILES DANS LES VOITURES

L’intégration des écrans dans les voitures a profondément transformé l’expérience utilisateur et engendre des défis majeurs en matière de distraction et de sécurité. En remplaçant les commandes physiques traditionnelles et en s’inspirant des smartphones — qui font pourtant l’objet d’interdictions légales au volant et de campagnes de sécurité routière — ces interfaces numériques nécessitent une attention accrue de la part du conducteur, qui doit détourner son regard de la route pour naviguer sur l’écran tactile [Fig. 13], augmentant ainsi les risques d’accidents. Selon une étude récente d’Assurance Prévention, « 16 % des accidents mortels ont été causés par le téléphone [au volant] en 2020 »1, les mêmes dangers existent dans l’usage des écrans intégrés aux automobiles. Une étude de l’organisme international Euro NCAP indique que les écrans tactiles, bien qu’ergonomiques en apparence, sont une source majeure d’inattention2.

[Fig. 13] Conducteur distrait par l’écran tactile central.

Source : Passion and car.

En adoptant les principes des smartphones pour rendre l’expérience interactive, simple et intuitive dans leur véhicule, les utilisateurs retrouvent une navigation tactile avec une organisation hiérarchisée, des menus, des icônes et des animations fluides. Cependant, leurs contextes d’usage diffèrent : tandis que les smartphones sont conçus pour une utilisation active, prolongée et personnalisée, les interfaces automobiles doivent réduire au maximum les distractions visuelles et cognitives, pour préserver la sécurité. Pour ce faire, ces dernières privilégient des actions directes et limitées, via des commandes vocales, ou haptiques. La hiérarchie des informations visuelles s’adapte, ainsi la vitesse ou les alertes occupent des positions stratégiques à hauteur des yeux, tandis que les fonctions secondaires se trouvent dans des menus [Fig. 14] ou sont accessibles via des raccourcis.

[Fig. 14] Écran tactile de la Tesla Model 3 (2018) intégrant des menus.

Source : capture d’écran de « Tesla Model 3 I Head Unit I Interior & HMI Review I US model 2018 » (screens, YouTube).

Ces préoccupations ont mené à de nouvelles analyses des standards de sécurité, afin de ne pas compromettre l’attention du conducteur. En effet, à partir de 2026, l’Euro NCAP — qui réalise une notation du niveau de sécurité des voitures — exigera des boutons physiques ou des molettes pour des fonctions essentielles comme les clignotants, les feux de détresse, les essuie-glaces, etc.

Outre la distraction, les écrans tactiles posent également des défis liés à la connectivité croissante des véhicules. Les bugs techniques et les risques de piratage sont des problématiques qui inquiètent et créent de plus en plus de frustrations chez les utilisateurs. Ces failles logicielles s’ajoutent aux défaillances mécaniques classiques et peuvent entraîner des dysfonctionnements critiques ou compromettre des données sensibles, renforçant la nécessité d’une conception sécurisée et robuste des interfaces.

Dans ce contexte, les designers jouent un rôle clé. Bien qu’innovantes, les interfaces conçues doivent être intuitives et ergonomiques, afin de réduire au maximum les efforts cognitifs nécessaires, sans compromettre la sécurité. Le recours à des solutions comme les boutons physiques pour les fonctions prioritaires, la rétroaction haptique, ou encore les affichages tête haute [Fig. 15], permet de limiter les distractions tout en améliorant l’expérience utilisateur.

[Fig. 15] HUD de la Mazda 3 projetant les informations de conduite sur une lame fumée.

Source : Mazda

L’évolution des interfaces automobiles représente une opportunité unique de réinventer l’interaction homme-machine, en trouvant un équilibre entre technologie, simplicité et sécurité.

III. L’AVENIR DE L’UI/UX AUTOMOBILE : INNOVATIONS ET PERSPECTIVES

L’avenir des interfaces automobiles repose sur la capacité des designers à innover. La notion de simplexité s’affirme comme un pilier fondamental dans cette démarche. Elle consiste à simplifier la présentation de données complexes en interactions intuitives, comme le démontre le prototype de Matthaeus Krenn en 2014 [Fig. 16 & Fig. 17]. Son concept repose sur une interface qui réagit à des gestes simples, réduisant ainsi la charge cognitive et favorisant une expérience utilisateur fluide, qui ne nécessite pas de regarder l’écran. Toutefois, les approches des designers doivent surmonter des défis tels que la précision des interactions, la fiabilité des systèmes et les conséquences potentielles en cas de panne.

L’importance de l’identité graphique des interfaces est également cruciale pour garantir une expérience sécurisée et agréable. La lisibilité des informations est au centre des préoccupations : typographies nettes, pictogrammes universels et intuitifs, puis codes couleur fonctionnels, qui facilitent une compréhension immédiate des commandes et des alertes. Par exemple, l’utilisation du rouge pour signaler le danger ou du vert pour indiquer des fonctions activées assure une hiérarchisation claire des informations. Ces choix, bien que fonctionnels, doivent également intégrer l’identité visuelle de la marque, afin de réaliser une continuité entre l’esthétique de la marque du véhicule et l’expérience utilisateur.

Les innovations technologiques telles que les affichages tête haute et la réalité augmentée redéfinissent l’interaction entre le conducteur et son véhicule. Ces technologies permettent de projeter des informations essentielles, comme la navigation ou la vitesse, directement dans le champ de vision du conducteur [Fig. 18], minimisant ainsi les distractions et le détournement du regard. La start‑up WayRay a créé le système True AR HUD [Fig. 19 & Fig. 20], qui intègre des éléments holographiques dans l’environnement réel, transformant le pare-brise en un écran interactif et offrant une expérience immersive et fluide au conducteur et au passager avant. La société WayRay indique que sa nouvelle technologie permet de se concentrer davantage sur la route, en plus d’ajouter des fonctions de divertissement subtiles sans distractions. Malgré cela, ces évolutions technologiques du HUD et AR nécessitent une attention particulière pour éviter les risques de surcharge cognitive et garantir que ces avancées favorisent réellement la concentration du conducteur.

[Fig. 18] Affichage tête haute (HUD) en réalité augmentée de la Mercedes Classe S 2021, projetant les informations de navigation directement sur le pare-brise.

Source : L’argus.

Avec l’émergence des véhicules autonomes — « À l’horizon 2030, 90 % des nouvelles voitures seront connectées. »3 — de nouvelles perspectives s’ouvrent pour l’UX automobile. Les designers devront répondre à des besoins variés, en créant des interfaces capables de s’adapter aux attentes des conducteurs comme des passagers, pour être plus intuitives, plus sûres, plus confortables et plus personnalisées — « Les passagers attendent de plus en plus de leur voiture, ils veulent se sentir dans une sorte de cocon personnel où ils sont à la fois chez eux et en sécurité. »3 —. De nouvelles fonctionnalités comme le divertissement, la productivité ou des options personnalisées pour chaque occupant se développent. Par exemple, la Mercedes Classe E 2024 peut transformer les trajets en espaces de travail mobiles grâce à une caméra intérieure intégrée, permettant de participer à des visioconférences directement depuis le véhicule. Les technologies développées par des entreprises comme Valeo, telles que l’affichage tête haute et les surfaces interactives intelligentes [Fig. 21 à Fig. 24] qui projettent des contenus interactifs pour animer les surfaces, illustrent également cette tendance en divertissant et en fournissant des informations à tous les passagers. Cette transformation des voitures en espaces connectés change les tableaux de bord en outils multitâches inspirés des smartphones.

Ces innovations soulignent le rôle central des designers dans la conception d’expériences, où chaque élément visuel et interactif doit être pris en considération, en contribuant à un ensemble intuitif et fonctionnel, en phase avec l’évolution des attentes des utilisateurs et des technologies.

CONCLUSION

L’évolution des interfaces automobiles reflète les progrès technologiques qui doivent s’adapter aux changements sociétaux. Avec la notion de simplexité, l’expérience utilisateur dans une voiture évolue et se conforme aux innovations graphiques et aux technologies immersives. Depuis ces dernières années, un phénomène sociétal émerge : le déclin de l’intérêt pour la possession de voitures, particulièrement chez les jeunes en milieu urbain. Cette tendance s’accompagne d’une préférence pour des solutions de mobilité comme les taxis, VTC ou véhicules partagés, ce qui redirige les priorités du design automobile.

Désormais, les interfaces doivent autant s’adresser aux passagers qu’aux conducteurs. Les nouvelles attentes tournent autour du divertissement, de la productivité, de la relaxation ou encore de la personnalisation, en plaçant l’utilisateur au cœur des réflexions. Le défi des designers est donc d’imaginer des systèmes intuitifs, sécurisés et esthétiques, répondant aux multiples contextes et aux nouveaux usages des véhicules.

Ainsi, les futures interfaces automobiles ne seront plus seulement un outil de conduite, mais aussi un espace d’interaction, au profit d’une mobilité plus intuitive et connectée.


  1. MOAL Morgane. Téléphone au volant : une étude révèle des chiffres alarmants… et sans doute sous-estimés. In : Radio France [en ligne]. France Inter, 09 juillet 2021. ↩︎
  2. Sigrist Martin. Euro-NCAP – Les étoiles de la sécurité. Revue automobile [en ligne], 10 mai 2024. ↩︎
  3. VALEO. Vie à bord. In : Valeo [en ligne]. Valeo, 2022. ↩︎
  4. VALEO. Vie à bord. In : Valeo [en ligne]. Valeo, 2022. ↩︎